L’amour survient parfois par hasard. Alors qu’on pensait à autre chose. Quand on ne s’y attendait plus. Encore faut-il ne pas avoir peur des chemins de traverse, ni de saisir la chance qui vous est proposée…
Parfois un mauvais train peut vous amener à une bonne gare !
Cette réplique pourrait servir d’exergue au film The Lunchbox du cinéaste indien Ritesh Batra.
Tout commence effectivement à Bombay par une erreur… d’aiguillage. Ila, une jeune femme aimante, mais peu sûre d’elle, ne sait plus comment reconquérir un mari qui, semble–t-il, la délaisse. Conseillée par une voisine, elle décide un jour de le séduire par la confection d’un repas de midi particulièrement raffiné. S’il mange tout, cela voudra dire qu’il l’aime encore et elle aura gagné. Ce repas, reparti dans des boites métalliques empilées, (le lunch box) lui sera livré via le système des dabbawallahs qui, tous les jours, portent le déjeuner encore chaud, à vélo en camion et en train, jusque dans les usines et les entreprises, à plusieurs dizaines de milliers de salariés de Bombay.
Le système fonctionne depuis plus de cent ans et ne se trompe quasiment jamais. Sauf ce jour-là. Ce n’est pas le mari d’Ila qui reçoit le lunch box, mais Saajan, un employé au bord de la retraite, que la solitude – il est veuf - a rendu un peu misanthrope. Et tandis que le mari mange le chou-fleur destiné par un traiteur bas de gamme à Saajan, celui ci découvre avec surprise et délices le philtre d’amour délicatement épicé préparé par Ila. Tout pourrait s’arrêter là. Mais Ila, alors qu’elle s’est rendu compte de l’erreur, ne dit rien et glisse même le lendemain un petit mot dans le lunch box, sous unchapati, pour remercier le destinataire inconnu d’avoir tout mangé.
C’est le début d’un échange épistolaire entre les deux personnages. Portant d’abord sur la nourriture, il s’étoffe de jour en jour, s’étend à des détails de la vie quotidienne de chacun, puis, peu à peu, change de nature et prend le chemin des confidences.
Parallèlement, les personnages, sans se rencontrer, se transforment. Saajan, dans son travail comme dans son voisinage, s’ouvre aux autres, redécouvre sa part d’humanité bienveillante, tandis qu’Ila s’affirme, cesse de se soumettre, de demander de l’aide à sa voisine, prend de la distance vis-à-vis de sa mère et de son mari, surtout quand elle comprend, en humant son linge, que celui-ci a une autre femme dans sa vie.
Sans dévoiler tout à fait la fin du film, on peut esquisser les voies qu’il trace à travers les labyrinthes de la ville et du sentiment amoureux. Ainsi ce mélange de chance, de malchance, de hasard, qui fait la trame de la vie et qu’il faut saisir en chemin. Ila aurait pu corriger son erreur tout de suite ou choisir de ne pas poursuivre sa correspondance secrète. Elle aurait continué de cuisiner pour un mari indifférent, avec comme seul horizon (comme sa voisine ou sa mère) de le soigner lorsqu’il serait devenu vieux et malade. Saajan de son coté aurait pu (il en sera tenté) refuser par crispation de solitude la chance qui lui était offerte. Il se serait retiré loin de la ville, vieux avant l’heure, coupé de sa partie vivante. Chacun d’eux serait passé à côté de lui- même.
Ce que ce film nous montre, c’est qu’il faut s’emparer de toutes les occasions possibles que la vie nous offre de changer. Etre ouvert au hasard. Et, comme Elia et Sajaan, ne pas se replier, ne pas se résigner. Le génie malin qui avait inversé les lunch boxes et fait bifurquer les destins, finalement, ne s’était pas trompé de destinataire.
Article paru dans le JDF